Dans le Gâtinais, le bras de fer entre les collectifs et les porteurs de projets d’unités de méthanisation
La République du Centre, le 21/04/2021
Des habitants de Girolles se sont réunis en collectif, opposés au projet d’unité de méthanisation. © Pascal PROUST
Dans le Loiret, les projets d’unités de méthanisation portés par des agriculteurs locaux se multiplient. Dans le Gâtinais, des habitants s’insurgent contre des installations qu’ils jugent surdimensionnées.
Entre les lieux-dits « La petite ronce » et « Les Fourneaux », à Griselles, le paysage pourrait changer radicalement d’ici à quelques années. Sur ces terrains agricoles, à quelques kilomètres du centre-bourg, doivent sortir de terre deux unités de méthanisation, éloignées de 600 mètres l’une de l’autre, et des éoliennes.
L’association A.I.R.E (Agir informer respirer écouter) 45 a déposé un recours gracieux auprès des services préfectoraux contre le permis de construire accordé au premier projet d’unité de méthanisation, porté par Fertylagry, une société réunissant quatre associés. Et cette association ne compte pas s’arrêter là puisque l’affaire devrait être portée devant le tribunal administratif.
« Nous avons appris qu’il y avait un projet de méthanisation à la sortie d’une réunion publique sur un projet d’éoliennes, en novembre 2019« , détaille un membre de l’association. « À ce moment-là, on n’avait pas d’a priori. On n’est pas des anti-méthanisation de principe. »
Des craintes pour la sécurité du site
Au fur et à mesure de leurs recherches sur le sujet et au vu de l’importance du projet, qui se déploiera sur 8 hectares, les craintes de ces habitants de Griselles sont allées en s’accroissant. Et notamment en terme de sécurité: « Une installation à risque sous une ligne à haute tension, ça ne rassure pas, sachant qu’en plus, il n’y aura personne à demeure sur le site, éloigné de toute exploitation agricole. »
L’unité de méthanisation serait dimensionnée pour recevoir chaque année 25.000 tonnes de déchets valorisables en biogaz. Une autre source d’inquiétude pour les habitants, qui redoutent un flux de véhicules lourds ingérable et dangereux au vu de l’étroitesse des routes du secteur. « 25.000 tonnes par an, cela veut dire un apport de 65 tonnes par jour environ », résume un membre de l’association. « On s’est amusé à faire le calcul : sur une période de trois semaines, ça fait un tracteur et sa benne toutes les sept ou onze minutes. Ce n’est plus de l’agriculture, c’est un projet industriel ! »
Enfin, les adhérents s’interrogent sur l’emploi réel des CIVE, autrement dit les « cultures intermédiaires à vocation énergétique », qui doivent être utilisées pour alimenter les unités de méthanisation. Pour les membres d’A.I.R.E 45, ces cultures ne suffiront pas : « Pour remplir cette installation, il faudra que les agriculteurs produisent du végétal qui aurait été destiné à l’alimentation. Pour nous, c’est un dévoiement du principe de ces unités et cela n’a rien d’écologique », accusent-ils.
Des opposants au projet de Griselles dénoncent le caractère surdmensionné de la future installation.
Le conseil municipal de Griselles a voté contre
Le mardi 13 avril, au terme de la période de consultation, les élus du conseil municipal de Griselles étaient appelés à se prononcer sur ce projet. Et ils ont voté contre. « À l’unanimité », souligne le maire depuis 2020, Claude Madec-Cléï, qui n’avait pas fait mystère pendant la campagne des municipales de ses réticences, tant sur le projet d’éoliennes que sur celui de méthaniseur.
L’élu avait choisi de ne pas prendre la parole publiquement sur le projet porté par Fertylagry avant la fin de la consultation publique et le vote du conseil municipal.
Il confie aujourd’hui avoir interpellé la préfecture pour dénoncer ce projet, qu’il juge démesuré, et dont il hérite bien malgré lui. Un cadeau empoisonné de son prédécesseur ? « J’ai appris que M. Delion, l’un des porteurs de projet, a déposé sa demande de permis de construire le 19 décembre. Celui-ci a été validé le 23. Quatre jours pour examiner un dossier aussi important, ça me semble bien court« , s’interroge le maire qui a rencontré tous les acteurs du dossier, des agriculteurs aux représentants de la FNSEA.
Claude Madec-Cléï se dit lui aussi inquiet des ressources utilisées par les porteurs du projet pour alimenter l’installation: « S’il y a plusieurs installations de ce type sur le secteur, où vont-ils aller chercher les intrants, sinon en cultivant spécifiquement pour ? Je pense que c’est se tirer une balle dans le pied. »
Le maire de Griselles, qui regrette que les élus n’aient pas leur mot à dire lorsque de tels projets sont examinés, annonce d’ores et déjà qu’il votera contre le futur Plan local d’urbanisme intercommunal à la communauté de communes des 4 Vallées, dont il est par ailleurs vice-président. « Oui, je voterai contre ce PLUI qui se fait au détriment de Griselles et d’autres communes, où on supprime des zones agricoles protégées. Je continuerai à argumenter, je ne me contenterai pas de dire qu’un méthaniseur, ça pue. A mes yeux, il n’y a pas toutes les garanties de sécurité. »
À Girolles, un premier recours du collectif
À 12 km de là, à Girolles, village de 600 âmes, un collectif s’est également constitué en décembre dernier. « Les premiers riverains sont à 200 mètres de la future installation ! », s’insurgent Bruno Royer et les autres membres de l’association. « La plupart des gens ont découvert ce projet lors de la consultation : il y a eu zéro communication en amont. L’Ademe pourtant, dans ses préconisations, dit que l’acceptabilité de ces projets est importante et qu’il faut faire participer les riverains. »
L’association a formulé un premier recours, pour demander l’extension de la consultation qui avait été réalisée en plein confinement. Elle avait aussi regretté que les panneaux d’affichage réglementaire aux abords du site aient été trop discrets. La préfecture a suivi et la consultation s’est achevée le 12 avril dernier.
« Nous ne sommes pas contre la revalorisation des déchets sur une exploitation agricole, mais contre le dévoiement de cultures pour alimenter les méthaniseurs. Ce ne sont pas des installations anodines : le plan d’épandage de celle de Girolles concerne 1.600 hectares sur 19 communes. Cela va de la Seine-et-Marne jusqu’à Sainte-Geneviève-des-Bois », précise Bruno Royer, qui ajoute qu’une centaine de personnes vivent à moins d’un kilomètre de la future unité.
« Ces attaques perpétuelles, on les vit mal »
Alexis Drouin est l’un des sept porteurs du projet d’unité de méthanisation de Girolles. Il dit aujourd’hui sa lassitude face au procès intenté aux agriculteurs.
« Les gens ne comprennent pas que la rentabilité dans l’agriculture, aujourd’hui, ce n’est plus ça. Pour nous, jeunes agriculteurs, ce projet, c’est d’abord un projet de vie qui nous engage pour des années. Jamais nous ne ferions quelque chose au détriment des populations. »
Le projet de méthanisation de Girolles est porté par sept associés.
Les agriculteurs sont allés présenter le principe de l’unité de méthanisation aux élus d’une quinzaine de communes concernées par l’épandage des futurs digestats, issus des déchets valorisés par l’unité.
Celle-ci, selon Alexis Drouin, sera alimentée à 50 % par du seigle, des pulpes de betteraves de la sucrerie de Corbeilles, des déchets d’oignons de producteurs locaux ou des déchets de pelouse déposés au Smirtom… « Ce seront bien des déchets à revaloriser qui seront mis dans l’unité et pas du tout des cultures principales qui seraient détournées, comme certains peuvent le dire. Et sur la circulation, nous nous sommes engagés à emprunter la RD40 et à ne pas passer dans le hameau tout proche. Ce projet, ce n’est pas une usine à gaz, c’est un projet à la taille de nos exploitations ».
Les agriculteurs se réservent eux aussi le droit de porter plainte contre l’association. En théorie, les travaux doivent commencer à la fin de l’année 2021. Si la justice est saisie par le collectif, le chantier pourrait être retardé de plusieurs mois, ce qui ne serait pas sans conséquences financières.
« Dans toute la France, on voit de plus en plus d’agriculteurs se retourner contre ces collectifs. Toutes ces actions, ça pèse pas mal sur les jeunes agriculteurs. Ce n’est pas un projet qui va nuire à la population, il faut rester rationnel. »
Pascale Auditeau